Banksy détruit son œuvre : les investisseurs applaudissent
Vous n’avez sans doute pas échappé à la sensation du début du mois : Banksy, le célèbre artiste de Street-art, a détruit sa propre œuvre en pleine séance de vente aux enchères. [1]
L’artiste libertaire antisystème n’en est pas à sa première provocation.
S’il voulait dénoncer le marché de l’art qui est prêt à investir des montants hallucinants pour une simple copie de son œuvre de rue… et bien on peut dire que c’est raté !
Ce qui est très amusant, c’est que plus ses frasques sont sensationnelles, par exemple pour dénoncer « le pouvoir de l’argent », plus ses œuvres prennent de la valeur.
L’œuvre déchiquetée vaut maintenant plus du double de son prix initial grâce à l’ampleur mondiale qu’a eu cet événement.
Banksy est maintenant un artiste qui s’inscrit comme l’un des plus reconnus de notre période.
Malgré cela, il a toujours réussi à être anonyme et à ne jamais apparaitre en public.
Les médias ont parfois dit que c’était la « première fois qu’un artiste détruit son œuvre devant son acheteur ». Malheureusement les médias ont souvent la mémoire courte car de nombreux artistes sabordent leurs propres œuvres.
En 1960, le sculpteur suisse Jean Tinguely, avait aussi fait une sensation en créant une œuvre autodestructrice.
La machine incroyable nommée « Hommage à New York », mise en action, s’est mise à brûler devant les premiers visiteurs de l’exposition (voir la vidéo ici). Là aussi l’action avait produit un retentissement international.
La valeur est subjective !
Cet événement s’insère dans un vieux débat : celui de la corrélation supposée entre le prix et la valeur.
Dans la plupart des domaines, on attache de la valeur aux choses pour leur technicité, le professionnalisme des créateurs et pour des raisons très fonctionnelles.
Les prix sont généralement corrélés à ces critères que l’on pourrait définir comme « rationnels ».
Ainsi, si je rajoute des truffes sur une pizza, celle-ci prend de la valeur à l’achat.
Pareil pour une voiture haut de gamme : elle coûtera plus cher car elle offre des performance et une fiabilité supérieures.
C’est une augmentation logique du prix.
Cependant, en raison de ce lien entre l’utilité et le prix, nous avons une vision biaisée de ce qui détermine réellement le prix.
La valeur dépend, au bout du compte, non pas directement du travail ou de son utilité mais de la subjectivité du jugement des acheteurs.
Qu’est-ce que ça signifie ? Ça signifie que le prix, s’il est souvent en lien avec l’intérêt très simple et rationnel de nos besoins, il est aussi en lien avec l’irrationnalité de nos jugements.
Prenez un Iphone par exemple : les fans se jettent sur ce produit dont le prix est largement supérieur à la concurrence, à technologie similaire.
C’est une démonstration de l’irrationnalité de l’homme : il ne raisonne pas qu’en fonction de la valeur fonctionnelle mais aussi en fonction d’autres critères comme l’image de la marque, ses émotions ou valeurs personnelles.
Les prix reflètent notre humanité, dans toute son imperfection.
Et s’il y a une production qui est un reflet parfait de l’irrationnalité de l’être humain : c’est l’art.
La reconnaissance comme Graal artistique
Le marché de l’art est singulier car il pousse cette logique à l’extrême.
Une de ses particularités les plus frappantes est celle de la valorisation des œuvres : elle dépend pour beaucoup de la renommée de l’artiste et de l’œuvre.
Ce n’est pas quelque chose de nouveau, Picasso l’avait bien compris.
Le peintre espagnol était un maître du marketing : il a tout d’abord peint ses propres mécènes ou les critiques d’art dans un style purement « français » qui était à la mode à ce moment-là. Il est ainsi entré dans le cercle fermé des spécialistes de l’art.
Ce sont eux qui, principalement, font et défont la réputation des artistes.
Ce n’est qu’ensuite, sa renommée faite, qu’il introduisit son style très personnel.
L’histoire tragique de Van Gogh est aussi une démonstration de ce fait : sans marketing, l’art ne vaut quasiment rien.
Contrairement à Picasso, Van Gogh n’a pas réussi à se faire connaitre malgré son style incroyable, sa précision, son expression et la puissance des émotions qui transparaissent à travers chacune de ses œuvres.
L’histoire tragique de sa vie, couplée à la découverte tardive de ses œuvres par les experts du marché de l’art, fit décoller le prix de ses peintures. Il est aujourd’hui considéré, tout comme Picasso, comme l’un des plus grands artistes de son temps.
Pourtant, il vécut malheureux et sans le sou durant toute son existence.
Il y a beaucoup de moyens différents qui permettent à un artiste de se faire connaitre et surtout reconnaitre. Les principaux leviers d’influence sont :
- Les critiques d’art
- Les grands collectionneurs
- Les médias
- Les musées et grandes expositions
Certains débutent dans le cercle fermé des artistes (reconnus par leurs pairs), d’autres sont reconnus par de riches mécènes et finalement certains, en faisant de l’art transgressif grand-public, comme le pop-art ou le street-art, sont simplement reconnus par leur exposition.
Les ratés des performances artistiques
Pour se faire connaître, d’autres artistes enchainent les « performances », toutes plus choquantes les unes que les autres.
Ces dernières années une artiste, à la belle plastique, enchainait les performances en pondant des œufs devant le congrès d’Art de Cologne, en prenant le tramway complètement nue ou en se laissant toucher le sexe par des passants. [2] [3]
Malgré les nombreuses couvertures médiatiques, l’artiste n’est toujours pas véritablement reconnue. A mon avis… pour de bonnes raisons.
Il n’est donc pas évident de savoir comment créer de l’engouement populaire : qu’est-ce qui pousse l’acheteur à valoriser une œuvre ?
- La spontanéité ?
- La beauté esthétique ?
- Le travail technique ?
- Le message véhiculé ?
- Les valeurs transmises par l’art ?
- L’unicité de l’œuvre ?
De nombreux artistes passent toute leur vie à essayer de trouver la voie de la reconnaissance. Je n’aurais pas la prétention de connaitre la recette miracle de la reconnaissance artistique.
On peut cependant dire que Bansky, en détruisant son œuvre au milieu des collectionneurs millionnaires, a marqué le public et son nom : ce fut un énorme succès.
Finalement c’est cela qui rend l’art si attrayant : ce mélange d’inexplicable, d’émotions et de maitrise technique.
Un secteur capitaliste peuplé d’anticapitalistes
En fait l’art est un secteur économique extrêmement libre, peu entravé par l’Etat et où le marché-libre s’exprime clairement !
Ce qui est très absurde car beaucoup d’artistes, et c’est là l’image qu’ils se donnent, sont souvent opposés à l’argent voir même sont de fervents « anticapitalistes ». [4]
C’est terriblement ironique que de riches propriétaires s’arrachent les œuvres de ces artistes antisystèmes afin de placer de l’argent dans cette « niche fiscale ».
L’art est également reconnu comme « assurance anti-crise » car sa valeur intrinsèque ne disparait pas après une crise financière.
C’est donc un actif très prisé pour se diversifier et se protéger.
De nombreuses assurances, gestionnaires de fortune voire même des gérants de fonds de pension achètent des œuvres d’art qui sont souvent placées dans des ports-francs afin d’éviter de payer des taxes, à l’image des célèbres ports-francs de Genève.
Le monde de l’art est finalement un énorme business lucratif qui rapporte énormément d’argent.
C’est un monde incroyable où la réalité du marché vit en parallèle avec l’irrationalité des artistes et des Hommes.
Frédéric Duval
Le Vaillant Petit Economiste
Sources :
[1] https://www.letemps.ch/opinions/lautodestruction-reussit-banksy
[2] https://www.lematin.ch/loisirs/pond-ufs-sexe/story/14332679
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